Lettre n°8 : La prise de décision chez les Chinois

par Monique C. Lacotte le 3 avril 2012

Il y avait une fois dans Bagdad, un Calife et son Vizir. Un jour, le Vizir arriva devant le Calife, pâle et tremblant : « Pardonne mon épouvante, Lumière des Croyants, mais devant le Palais une femme m’a heurté dans la foule. Je me suis retourné et cette femme au teint pâle, aux cheveux sombres, à la gorge voilée d’une écharpe rouge, était la Mort. En me voyant, elle a fait un geste vers moi (…). Puisque la mort me cherche ici, Seigneur, permets-moi de me cacher loin d’ici, à Samarcande. En me hâtant, j’yserai avant ce soir ». Sur quoi, il s’éloigna au grand galop de son cheval et disparut dans un nuage de poussière vers Samarcande. Le Calife sortit alors de son Palais, et lui aussi rencontra la Mort.
« Pourquoi avez-vous effrayé mon Vizir qui est jeune et bien portant ? « demanda-t-il. Et la Mort répondit : « je n’ai pas voulu l’effrayer, mais en le voyant dans Bagdad, j’ai eu un geste de surprise, car je l’attends ce soir, à Samarcande ».

Jacques Duval – « Ce soir à Samarcande » – Acte I

Si nous nous interrogeons aujourd’hui sur le hasard, et plus spécialement sur le hasard en Chine, ce n’est pas par curiosité exotique, c’est pour trouver un nouvel éclairage sur cette expérience majeure de notre existence tellement perturbante que la rationalité occidentale s’est toujours efforcée de l’évacuer comme un élément nocif voire dangereux. A notre époque, les scientifiques recherchent une nouvelle lecture du temps, des probabilités, de la discontinuité. La conception chinoise de l’univers pourrait nous éclairer mais elle nécessite de pénétrer dans une autre vision du monde. Quand un occidental découvre la pensée chinoise, il en résulte une grande surprise : la découverte d’une conception très particulière du hasard.

Un signe n’a pas de sens isolé, il n’a de sens que dans un contexte général, au milieu d’un plus grand nombre de signes : ce sont toujours des configurations que les Chinois analysent. C’est un exercice de l’esprit peu développé chez nous et très développé chez les Chinois. Un même présage peut donc avoir plusieurs significations, par exemple : la gauche chez les Chinois, la place d’honneur est à gauche. Ce n’est pas la même chose chez nous, où la gauche reste marquée du mot « sinistre » qui est son origine. Quand les Chinois ont appris que les élus étaient à la droite de dieu, cela leur a semblé bizarre.

Les chinois visent à réduire la possibilité du hasard, et toutes les méthodes de divination cherchent à savoir ce qu’il convient de faire dans telle ou telle situation, et non pas ce que les dieux veulent comme en Occident.

« Les nuages émergent de la montagne de Chong et ils y retournent. Ils émergent du non-être et retournent au non-être. Le non-être ne se trouve nulle part. Point n’est besoin de chercher où il est » - Xouan an Tseu (-400 av. J.C.)

Pour un chinois le hasard n’existe pas. Les chinois considèrent que tout doit s’enchaîner…

Lorsque nous parlons du Tao, ce principe universel uni et non manifesté, cette force vitale, tout le jeu consiste à faire la division en dualité. Toute la pensée chinoise se fonde sur la notion de dualité. La dualité développe une complémentarité et c’est là le deuxième mot essentiel de la pensée chinoise : ce n’est pas une opposition. C’est la pensée du point de vue de la neutralité : lorsque l’on parle de positif, ce n’est pas forcément « bien », lorsque l’on parle de négatif, ce n’est pas forcément « mal ». Sans négatif il n’y a pas de positif. Le positif et le négatif seraient deux aspects, comme deux versants de l’expérience, comme l’ombre est la ressource de la lumière.

Pourquoi le hasard n’existe-t-il pas ?

Pour répondre à cette question, il faut repartir du début, s’il y en a un, d’un point zéro.
Chez les Chinois, nous avons le principe universel qui est le non manifesté qui va se développer en dualité. Les Chinois font toujours appel aux images. Le côté, on dirait positif de cela, c’est le Ciel. Puisqu’il y a le Ciel, c’est à dire l’énergie qui va engendrer la matière, il y a une structure qui est schématisée par la Terre. L’énergie et la structure, ce sont deux facteurs, c’est encore stable, il faut donc un acteur, c’est l’être humain qui est entre le Ciel et la Terre. On arrive à une tri-unité : énergie, structure ou matière, et mouvement. S’il n’y a pas de mouvement, s’il n’y a pas de dynamisme, tout est figé. C’est à partir de ces trois éléments que les choses vont s’enchaîner. Donc il n’y a pas de hasard pour les Chinois.

« 30 rayons convergent au moyeu mais c’est le vide médian qui fait marcher le char.
On façonne l’argile pour en faire des vases mais c’est du vide interne que dépend leur usage.
Une maison est percée de portes et de fenêtres, c’est encore le vide qui permetl’habitat.
L’être donne des possibilités, c’est par le non-être qu’on les utilise » Lao Tseu – Tao Te King.

En Chine, le hasard, ce sont les choses qui aiment arriver ensemble.

C’est intéressant de regarder la pensée chinoise car si notre mode de pensée rationnel s’est fondé sur la négation du hasard, le mode de pensée chinois lui, incorpore le hasard. Il dérive des pratiques divinatoires pratiquées à l’époque de l’âge du bronze, cristallisées, amplifiées, théorisées dans le Yi Jing, le premier des cinq classiques confucéens, qui est à la pensée chinoise l’équivalent de notre « Discours de la Méthode ». Tout candidat aux examens impériaux devait les connaître par cœur.

Par rapport à notre manière habituelle de penser, il y a un complet renversement de sens.

Le hasard c’est ce qui nous dérange, c’est le nom du tiroir où on range tout ce qu’on ne sait pas expliquer. Il semblerait que pour les Chinois ce soit au contraire le fil conducteur qui permet de relier les « choses qui aiment arriver ensemble », comme le disait William Pitt, auteur d’un livre sur la synchronicité.

Toutes sortes de mots chinois sont traduits par hasard. Parmi les plus employés, il y a deux caractères, les caractères OU et PENG, ce sont deux caractères qui désignent le mot hasard. Le premier sens c’est pair, appariement, parité, couplage, mise en relation, et OU veut dire aussi ‘nombre pair ». Autrement dit pour nous, le hasard qui représente ce qui n’est relié à rien, parce que relié à aucune relation causale, semblerait être en Chine, au contraire, ce qui relie, ce qui met en rapport deux domaines situés à deux niveaux et en particulier ce qui met en rapport l’état d’un système à un moment donné avec le signe qui permet de le lire.

C’est à tel point que les Chinois donnent comme exemple la prise de pouls en acupuncture, c’est à dire une manipulation qui permet de rendre compréhensible, lisible, l’état énergétique in-lisible d’un corps vivant à un moment donné, et d’en déduire une stratégie curative. On peut même pousser plus loin la réflexion en cherchant les mots chinois qui signifient le contraire du mot hasard.
OU qui signifie pair a pour contraire le mot TCHI qui signifie impair. Avec pair vient couplé, avec impair vient singulier, avec pair vient favorable, avec impair vient défavorable, avec pair s’ensuit normal, impair emmène derrière lui anormal, et pair ira jusqu’à signifier rationnel, impair irrationnelet à partir de là, pair aboutit sur hasard, impair aboutit sur prodige, anti-naturel, monstrueux.

Les choses qui aiment arriver ensemble sont reliées par le hasard.

Simplement, cela nous paraît difficile à concevoir parce que nous n’avons jamais cherché à comprendre les rapports qui existaient entre les choses qui aimaient arriver ensemble. Nous sommes habitués, nous, à concevoir les rapports de causalité (transitivité) entre les choses (A produit B, B produit C donc A produit C). Ces rapports de causalité n’ont pas intéressé les Chinois. Ce qui les a intéressés ce sont les rapports de généralité, c’est à dire qu’est-ce qui arrive en même temps ?

Ils ont remarqué depuis fort longtemps, depuis ces pratiques divinatoires de l’âge du bronze, qu’il y avait entre les événements et entre certains signes naturels ou provoqués artificiellement par la divination, un rapport très étroit et c’est sur ce rapport qu’ils ont bâti leur mode de pensée.

« Il faut tendre au vide absolu et à la contemplation sereine. Toute chose se mêle dans l’action mais je n’observe que leur non-action car les choses sont sans cesse mouvantes et sans repos, chacune pourtant retourne à son origine. Retourner à l’origine, voilà la quiétude. Etre dans la quiétude c’est voir l’être tel qu’il est. L’être tel qu’il est c’est l’immuable, toujours mouvant » - Lao Tseu.

La vision de ce monde immuable, toujours mouvant, bouscule notre conception de la causalité.

Pour comprendre ce mécanisme de la pensée chinoise, il faut remonter aux origines, aux anciennes méthodes de divination. Il y a beaucoup de types de divinations en Chine. Le Feng Shui, qui n’est pas de la divination, mais qui permet de comprendre de quoi il s’agit, est une approche qui consiste à choisir les emplacements favorables pour les habitations et pour les tombeaux. Dans ce cas-là les géomanciens chinois (le terme ne correspond pas à la géomancie en Occident) cherchent à analyser les formes du terrain, à voir où se trouvent les « veines et replis du dragon, du tigre » etc…

Le Yi Jing ou « Classique du changement », que nous avons cité plus haut, s’est fixé au 10e siècle avant Jésus-Christ. A l’origine, on pratiquait la divination par les écailles de tortue, ce qui a donné le Yi Jing, fondé sur des chiffres et sur une série de signes dits Yin/Yang qui étaient lus par le devin en tenant compte à la fois de la mutation possible de chaque sens, étant donné l’âge de chaque sens suivant le chiffre qui avait été tiré. On parle de mutation dans le Yi Jing, de chiffres mutants, cela veut dire que l’on se réfère surtout à ce qui change dans le monde. Les chinois ont toujours été intéressés par le changement, alors que l’occident a cherché des vérités éternelles.

Hasard et prise de décision…

Quelle serait la relation que l’on peut établir entre le Yi Jing, le « Classique du changement », et le hasard ?
Le Yi Jing se divise en deux, il est à la fois le modèle théorique du système de pensée Yin/Yang, il est aussi l’application de ce modèle au problème de la prise de décision. L’application du système Yin/Yang au problème de la prise de décision, c’est ce que l’on traduit dans notre langue par la divination, l’usage individuel du Yi Jing, et là, le hasard entre en jeu, parce que l’utilisation individuelle du Yi Jing s’appuie sur une utilisation du « hasard ». Quand on se trouve face à un problème et qu’on ne sait pas quelle direction prendre, pour avoir des informations sur la qualitédu moment dans lequel on s’insère par rapport à ce problème, on opère des manipulations aléatoires, soit avec des pièces de monnaie, soit avec des tiges d’achillée. Cette manipulation aléatoire permet de faire apparaître une figure, une parmi les 64 figures du Yi Jing, qui représentent chacune un des agencements possibles du Yin et du Yang. Cette figure renseigne alors sur la manière dont on est impliqué dans la question, et donc donne des informations sur la meilleure stratégie à tenir en fonction des conditions, ducontexte.
Ce qui veut dire que le Yi Jing, livre des mutations, donne un sens à l’expérience humaine et en même temps, il propose une vision extérieure de la situation. Cette figure, cet agencement du Yin et du Yang, correspond à une sorte de radiographie de notre état énergétique à un instant donné, face à un problème donné ; c’est en cela qu’il se rapproche de la prise de pouls en acupuncture, parce que dès que l’ on a l’idée de la manière dont la situation se pose, on peut en tirer aussitôt une stratégie d’action.

Or c’est précisément cette utilisation de l’aléatoire qui nous fait buter.

On se trouve devant un cas d’abandon de la raison rationnelle et quel esprit conscient de lui-même pourrait se dire : « mais enfin ce n’est pas en jetant des pièces ou des dés au hasard que je vais trouver des informations sur la réalité »? Et bien si, disent les Chinois, et cela vient aussi de la manière dont nous nous imaginons le hasard.

Après tout, comment se représente-t-on le hasard ?. Comme une pièce qui tourne en l’air, seulement cette vue est finalement un peu partielle, c’est un arrêt sur image. Même quand on joue à pile ou face, la pièce ne tourne pas continuellement en l’air. Et le musicien John Cage interrogé à ce sujet disait « Jetez une pièce en l’air, elle retombera dans un réseau ».

Pour les chinois quand ils utilisent le Yi Jing, ce qui est important, ce n’est pas l’utilisation du hasard, c’est le fait que parmi les 64 figures du Yi Jing, une figure va apparaître et non pas les 63 autres. Pourquoi celle-là ? Parce que précisément cette figure-là est approuvéecoupléemise en relation avec la qualité du moment qu’on est en train de vivre.
Le lien qui l’unit avec la situation n’est pas un lien causal, c’est un lien beaucoup plus profond, c’est un lien de l’ordre du vivant, beaucoup plus que de l’ordre du rationnel.

Confucius disait lui-même « Qui ne connaît pas son mandat ne peut pas être unhonnête homme ». 
Confucius est réputé avoir usé trois rouleaux du Yi Jing à force de l’avoir consulté. Même si cette anecdote fait partie de la géographie confucéenne inventée par la suite, il est sûr que l’école confucéenne en attribuant à Confucius la totalité des commentaires sur le Yi Jing, montre là l’importance qu’elle accordait à cet ouvrage. Autrement dit, pour lui, la divination est l’acte moral par excellence parce que c’est ce qui permet de se situer par rapport à un ordre cosmique dont l’ordre social doit refléter l’harmonie. Il s’agit donc de se coupler avec l’instant.

Une petite histoire…

Voici une histoire qui est sans doute d’origine chinoise bien qu’elle soit connue comme étant japonaise. C’est l’histoire du stupa et de la vieille femme. Un stupa, c’est un reliquaire bouddhique en forme de tour. Lorsqu’elle sera maculée de sang, dit l’histoire, la montagne s’écroulera, la vallée sera inondée, tout le monde périra. Une vieille monte tous les jours sur cette montagne, c’est très fatigant, elle est épuisée chaque fois qu’elle arrive en haut. Les enfants s’en étonnent, elle leur explique de quoi il s’agit : la légende dit que lorsque la tour sera maculée de sang, la montagne s’écroulera, la vallée sera inondée et tout le monde périra. Pour faire une blague, les enfants se font saigner et mettent du sang sur le stupa et évidemment l’apparition du signe a pour conséquence l’écroulement de la montagne et l’inondation de la vallée. Entre temps, la vieille est montée et a emmené tous les siens en sécurité. Il y a intervention factice mais l’apparition du signe détermine les choses. Si l’homme peut produire des signes et les manipuler, il peut agir sur la nature. Ceci a été très important dans toute la civilisation chinoise. Le gouvernement par les rites, qui est fondamental chez les chinois, cela revient à ça. C’est tout un ensemble de règles qui sont données par l’empereur et qui ont pour effet d’organiser la société, le temps, le monde, l’espace, etc… Et donc d’abolir complètement cette notion du hasard. Le même mot chinois signifie gouverner et guérir ou soigner, il s’agit d’un dosage. C’est le mot Tche qui secrète l’eau. Un grand écrivain chinois du 3e siècle avant notre ère, Tchouang Tseu écrit qu » « il est aussi difficile de gouverner que de faire cuire des petits poissons. ».
Il faut les faire cuire à point, ni grillés, ni brûlés, ni non plus pas assez cuits. Comme l’histoire est très moralisatrice en Chine, la chute des différentes dynasties est souvent liée à la conduite de l’empereur. C’est parce que le souverain se conduit mal, a trop de femmes, fait des dépenses excessives, que cela arrive.

En Chine, la notion la plus proche du hasard est presque à l’opposé de notre conception occidentale, c’est la notion qui est le but final de l’ascèse Taoïste, le Tseu Djan qui veut dire arriver à une spontanéité naturelle. Or qui dit spontanéité dit justement arriver à quelque chose qui n’est pas prévisible. C’est justement la vie dans son jaillissement, dans ce qu’elle a d’imprévisible, de neuf, de pur, c’est peut-être ça qui serait le plus proche de notre notion de hasard.

D’autant que, comme on le dit, tout chinois est confucianiste à l’extérieur et Taoïste à l’intérieur.

Or le confucianisme, justement à l’opposé, dit qu’il y a des lois. Si vous posez la notion de hasard, il ne peut exister que parce qu’il y a un corpus de lois. Quand ce corpus ne s’applique pas, quand on ne comprend pas, qu’on ne peut pas donner une cause à quelque chose, on dit que c’est le hasard. En Chine ancienne, avec le confucianisme, on ne voit pas les choses sous la forme de lois mais sous la forme de rituel. Rituel qui suppose quand même un certain nombre de répétitions dans la vie. Le rituel ne vise qu’à se mettre en accord avec ces tendances qui sont quand même, avec le confucianisme, prévisibles, mais seulement quand elles sont phénomènes de société. Quand elles sont phénomènes de nature, on tombe alors dans le Taoïsme, où la vraie nature c’est cet espèce de jaillissement perpétuel donc parfaitement indomptable. Et donc aussi imprévisible. Comment fait-on pour se gouverner par rapport à quelque chose qui semble une sorte de chaos, s’il faut laisser aller la spontanéité naturelle Taoïste ?

C’est là que le Yi Jing entre en jeu, véritable « discours de la méthode chinois », base absolue de toute pensée chinoise. Le Yi Jing n’édicte pas des lois mais il photographie à un moment donné une situation, c’est-à-dire qu’il voit quelles sont les forces en jeu à ce moment précis. Et c’est là, toute cette notion de Che. Ce qui fait que ce Che se traduit aussi bien par moment, espace, espace de temps, mais ça peut aussi être une opportunité, une occasion qu’on rate. Pour les Chinois, l’essentiel est de se mettre en accord, mais pas un accord scientifique reposant sur des causes, sur des lois, il s’agit plutôt d’une intuition de ce qu’est le moment. Et à ce moment-là, il faut avoir la décision.  Car le moment est toujours fugace et fugitif. C’est tout à fait la spontanéité naturelle.

Il y a toujours un moment où un lever de soleil est extraordinaire, quarante secondes après, il n’y a plus rien. Ce moment, ce moment unique est passé…

Et pourtant on peut quand même observer le retour de certains phénomènes : le soleil se lève toujours, la lune aussi, le printemps revient toujours à la même époque ainsi que l’hiver, etc …
Comment donc envisager cette périodicité de phénomènes qui sont quand même, eux, récurrents ? On peut répondre que la nature a des lois de répétition mais ce qui est important justement c’est la modification de la loi.

Les Chinois sont persuadés que les mêmes causes ne produisent jamais les mêmes effets…

…parce qu’il n’y a jamais les mêmes causes dans la nature, et, de plus, un phénomène est produit par une telle accumulation de causes, que ce n’est qu’arbitrairement qu’on peut décider que celle-là est la cause du phénomène. Par exemple, vous vous tordez le pied en descendant d’un trottoir, est-ce le fait du trottoir usé à cet endroit, le fait de vos baskets neuves ? De toutes ces causes, quelle va être la cause déterminante de votre entorse ?
Si un chinois a un accident, s’il se fait mal, s’il a, par exemple, un accident de voiture, qu’est-ce qu’il dira? Est-ce qu’il dira que c’est le hasard ? Ici, nous abordons la notion de vie antérieure qui n’est pas la même notion que notre au-delà. La notion de vie antérieure est différente également de la notion de réincarnation qui est un mot très souvent employé et que nous trouvons très péjoratif. Cette notion de vie antérieure signifie que nous allons accomplir un certain nombre d’actes qui vont se répercuter dans l’avenir. C’est la notion de présent du passé. Nos actes ne sont pas perdus donc logiquement ce que nous « subissons » aujourd’hui résulte de nos actes antérieurs. Et il en résulte que pour les chinois, il n’y a pas de hasard. Les chinois parlent de destin : si nous sommes destinés à avoir un accident, nous l’aurons, mais ce n’est pas la même chose que le fatalisme, parce que nous avons toujours un certain stock, un certain potentiel de liberté, d’énergie qui va permettre le déroulement de notre vie, sinon tout serait figé. C’est cette liberté qui va déterminer ce que nous allons devenir. Mais en même temps, nous avons un petit peu de liberté pour agir. Ce qui explique pourquoi une maladie peut être guérie. Parce que sinon, si on est destiné à avoir tel ou tel type de maladie, ce n’est pas la peine de se faire soigner.

Dans les systèmes cosmiques extrême-orientaux, il n’y a pas de place pour le hasard.

Non seulement dans le système cosmique qui est régi par des lois que nous connaissons très mal mais auxquelles nous sommes absolument soumis (donc il y a intérêt à les connaître), mais, dans le destin individuel non plus, il n’y a pas de hasard parce que tout est régi par le « Karma ». Le Karma désigne simplement l’acte. Mais c’est l’acte avec toutes ses conséquences, qui en lui-même contient des éléments positifs ou négatifs ou éventuellement neutres, qui vont dicter la vie suivante de l’individu. Et comme en plus le Karma se propage de vie en vie, c’est interminable. C’est le cycle des naissances et des morts qu’on appelle le Samsara (ne pas confondre avec le parfum de chez Guerlain !…). C’est-à-dire un monde assez difficile à vivre, mais dans lequel on est tout de même relativement très libre, parce qu’on est d’autant plus libre qu’on connaît ces éléments déterminants. C’est paradoxal pour nous mais pour un asiatique c’est tout à fait évident.

Quand on parle de « Karma », cela semble plus concerner l’Inde que la Chine ou le Japon. Il y a certainement une très grande différence entre les mentalités du monde indo-européen, c’est-à-dire de l’Inde, de l’Europe et celles du monde proprement asiatique, la Chine et le Japon, à partir du Tibet. En fait, il y a quand même un concept commun, qui est un concept de base, quasi-archaïque, qui constitue un système stable pratiquement adopté partout. Ce n’est pas par hasard, si l’on peut dire, que le mot « Karma » a été traduit par Tao en Chine dès l’introduction du bouddhisme. Ils ont compris bien sûr, qu’il y a une différence entre Karma et Tao. Ce n’est pas assimilable tout à fait. Mais ils se sont rendus compte que la seule façon de comprendre le Karma c’était de le traduire par Tao, c’est-à-dire l’ordre universel. Ce que signifie cette notion de hasard telle que nous l’entendons n’existe pas vraiment, finalement, que l’on se réfère à l’Inde, à la Chine ou au Japon. Et surtout il y a une confusion que l’on pourrait commettre très facilement, c’est de penser qu’en définitive, il y a là une espèce de fatalisme et de déterminisme absolu. Car c’est exactement le contraire qui se produit.  Puisqu’il y a des lois, si on les connaît, on peut non pas s’en affranchir, mais agir conformément à son propre tempérament quand on le connaît. C’est le « connais-toi toi-même » et si vraiment on parvient à une connaissance profonde, aiguë de soi-même, une connaissance, nous dirions, relativement objective et désintéressée, alors on peut très bien jouer avec le jeu cosmique. Ce qu’on oublie souvent dans la notion de Karma, c’est qu’il y a aussi la notion de jeu, de Lila en sanskrit. Si la vie devient un jeu auquel on participe volontairement et avec joie, alors tout devient facile.

« J’ai compris récemment ce qu’était la quiétude, assis dans l’herbe nous avons luensemble les soutras du Tao. J’ai compris que la quiétude est la joie, et que ma vieétait un loisir sans fin » - Lang Wouei.

Le loriot jaune : le plus bel exemple chinois du hasard

Un des exemples du hasard, pour les Chinois, ce sont les oiseaux, messagers du ciel, car ils peuvent se poser n’importe où. Messagers du ciel, donc, les oiseaux sont de toutes les créatures vivantes celles qui sont le moins soumises aux contingences terrestres. Leur vol est totalement libre. Le génie chinois est d’avoir choisi cette image de liberté pour en faire le symbole du couplage parfait avec l’instant présent. Volant où bon leur semble, les loriots se posent aussi toujours là où ils veulent. Ayant cette liberté, ils se posent donc toujours là où ils doivent, c’est-à-dire, à l’endroit où leur couplage avec la situation est le plus adéquat. c’est pour cette raison qu’ils sont pour les humains des maîtres à imiter.

« Le loriot jaune quand il gazouille sait très bien se tenir ». Confucius, commentant cette phrase, souligne : « se pourrait-il qu’un être humain en sache moins que cet oiseau ? On ne peut pas empêcher les oiseaux de malheur de voler, mais on peut les empêcher de faire leurs nids dans nos cheveux ».

Le rôle du Yi Jing est de nous enseigner ce que les oiseaux font naturellement. On comprend alors que le hasard chinois soit d’une toute autre nature que le nôtre. Est-ce qu’il n’y aurait pas à chercher dans le mot hasard lui-même une piste pour comprendre le sens qu’il a pris dans notre mode de pensée ?

Ce mot de hasard, est un mot qui ne sonne pas très français, ni celte à l’oreille, ni latin, ni grec d’ailleurs. C’est un mot arabe, un des rares mots français dont l’apparition puisse être datée avec précision. Il surgit pour la première fois dans le livre « Gesta francorum ulltra maris », (Hauts faits et gestes des Francs d’Outre-mer), écrit par Guillaume de Tyr, (1130-1186), « grand reporter » auprès des croisés. Il raconte qu’un jour, près d’Alep en Syrie, on prit après un siège de quelques semaines le château de Hazardet qu’on yapprit un nouveau jeu de dés. Il y a quelque chose qui ne colle pas dans cette histoire : prendre un château après un court siège, faire des prisonniers, jouer aux dés, quoi de plus banal alors ? Qu’est-ce qui a bien pu se passer au château de Hazard pour que son nom passe dans notre langue ?

Clément Rosset qui rapporte cette anecdote propose une réponse stimulante : il imagine que la découverte de ce jeu a été l’occasion d’une prise de conscience analogue à ce que Freud appelle « l’expérience de la terreur », ce glissement propre au cauchemar quand, subrepticement, l’endroit le plus familier devient le lieu du pire étrange. Quoi de plus familier en effet qu’un jeu de dés pour un habitant des pays riverains de la Méditerranée ? Mais si les dés utilisent des procédures aléatoires, nos ancêtres pensaient-ils leur utilisation en terme de hasard ? Certainement pas sinon nous aurions au lieu du mot hasard un terme de notre langue dérivé du latin ou du grec. On a toujours pensé sur les bords de la Méditerranée que le hasard était la manifestation des arrêts d’une puissance divine, la déesse Fortuna, celle qui dans le tarot, fait tourner sa roue, l’arrêtant quand bon lui semble. Arrêter le cours normal des choses, ce privilège divin, le dieu des chrétiens le reprendra à son compte. Avant l’époque des croisades, on lui attribuait le pouvoir d’arrêter le bras du coupable et de favoriser celui de l’innocent lors des duels judiciaires et pareillement donc d’arrêter les dés de façon à favoriser qui lui semblait juste. A l’époque féodale, le hasard n’existait pas, ni l’idée, ni le mot. Il faut donc imaginer la terreur qui a dû saisir quelque aumônier croisé, quand regardant quelques soldats jouer à ce nouveau jeu de dés, se fit jour dans son esprit la question terrible : « quand c’était des mécréants musulmans qui jouaient, qui est-ce qui arrêtait les dés » ? Tout l’univers mental médiéval, rond comme une coupole d’église romane, avec un dieu chrétien en tant que cause de toutes les causes, s’est fissuré définitivement avec la prise de conscience qu’il pouvait exister des effets n’ayant pas de cause repérable.

L’idée de hasard était née, elle gardera dans son nom le souvenir oublié de son origine et elle ira jusqu’à nous, favorisant au passage l’éclosion de ce que nous appelons « l’esprit scientifique » en substituant l’idée de lois de nature à celle de lois divines. La nature est toute puissante comme Dieu, elle fonctionne selon ses lois propres mais à l’inverse de Dieu elle n’est pas insondable. Dès lors que ses lois sont connues, le futur pourra être prédit et le hasard vaincu. Le rationalisme cartésien assoira cette position en rejetant dans l’irrationnel tout ce qui lui est rebelle : la foi et le hasard. Et Pascal, mathématicien mystique, montrera comment contourner le hasard par le calcul des probabilités. Ensuite Kepler et Newton assureront le triomphe du déterminisme en réduisant à des équations simples le mouvement erratique des planètes dans le ciel, jusqu’à Einstein, le dernier des savants de l’âge classique, puisque, confronté aux ultimes développements de sa théorie, il ne put se résoudre à admettre que Dieu puisse jouer aux dés. Presqu’un siècle après, la théorie du chaos nous apprend qu’il considérait le problème à l’envers : c’est le hasard qui joue à Dieu.

Ainsi, pour prendre un exemple, bien que régi par des lois déterministes connues, le système atmosphérique échappe au déterminisme, il est chaotique. A cette caractéristique, E. Lorenz a donné comme nom « l’effet papillon », pour faire comprendre que le souffle créé par le battement des ailes d’un papillon en Amérique peut parfois finir par déclencher une tornade en mer de Chine.

De même, les structures fractales qui n’ont ni commencement, ni échelle, sont une des propriétés les plus répandues dans la nature. Fractale vient du latin fractus, qui nous a donné fraction, puisque la structure du système se conserve quel que soit le fractionnement qu’on lui fasse subir. Et c’est peut-être ce qui la rapproche d’abord du Yi Jing. Les hexagrammes, mélange de hasard et de déterminisme, caractérisent eux aussi en permanence l’évolution d’un système, tout en n’étant d’aucun secours pour prédire son évolution. La structure entière du Yi Jing se retrouve en chaque point du système. Au niveau de chacun des traits d’un hexagramme, il y a un hexagramme entier. Les situations traitées par les hexagrammes n’ont pas d’échelle, non plus que les côtes de Bretagne ou que, par exemple, le plan des maisons chinoises. Toutes les maisons de Chine, qu’il s’agisse d’une cabane de paysan ou de la Cité Interdite, étaient disposées selon les mêmes principes géomantiques. La seule différence était que celle de l’Empereur était plus grande. Les situations traitées par les hexagrammes du Yi Jing non plus n’ont pas d’échelle, puisque tout le côté anecdotique y est gommé au profit d’une vision systémique et dynamique de la situation. Pour l’esprit chinois, l’invariance d’échelle est une évidence qui s’étend à la structure même de tous les organismes qu’ils soient ville, plante, pays ou être humain.
C’est d’ailleurs cette faculté chinoise d’aller directement à la structure sans s’arrêter aux détails qui permet au Yi Jing de fonctionner si loin de sa civilisation d’origine.

C’est l’expression qui est mouvante mais pas le fondement. Dans la phrase « l’être tel qu’il est c’est l’immuable toujours mouvant », on parle des lignes du Yi Jing, des lignes de la transformation, mais le but c’est la non-transformation permanente. La non-transformation, point de départ de la transformation, est indispensable. La non-transformation c’est la mort. Quand on arrive à la mort complète du moi, on est dans la non-transformation permanente, mais on peut adopter des modes d’expression. Il s’agit donc de découvrir le Tien Ming, ce pour quoi on est fait et qu’on doit obligatoirement réaliser. Donc il faut faire attention à soi-même et à sa propre vie. La notion d’influence, d’écho, appelée synchronicité en Occident, qui a été découverte par Marie-Louise Von Franz et par Jung, est une notion naturelle pour les Chinois. Arriver à discerner ce qui fait écho à vous-mêmes, la qualité des gens que vous rencontrez, vous renseigne sur votre propre Tien Ming. Comment sait-on dans l’évolution où on en est ? Il s’agit d’être très attentif, vigilant aux circonstances de sa vie, et particulièrement aux circonstances que nous on appelons, en Occident, le hasard. Le but de la vie serait donc d’arriver à distinguer ce qui fait écho à soi-même. « La qualité des gens que vous rencontrez vous donnera votre niveau », disent les Chinois. L’esprit chinois tel que nous le voyons à l’œuvre dans le Yi Jing, semble être exclusivement préoccupé de l’aspect fortuit des événements ; ce que nous nommons coïncidence semble être le souci principal de ce genre d’esprit, et ce que nous appelons causalité passe presque inaperçu. Nous devons admettre qu’il y a quelque chose à dire sur l’énorme importance du hasard. 

Une somme incalculable d’efforts humains est directement employée à combattre et à restreindre la nocivité ou le danger représentés par le hasard.

La manière dont le Yi Jing s’applique à considérer la réalité semble défavoriser nos procédures causales. Le moment réellement observé apparaît davantage dans la vision de l’ancienne Chine comme un coup de hasard que comme un résultat clairement défini de processus de chaînes causales concourantes. Le champ d’intérêt semble être laconfiguration formée par les événements fortuits au moment de l’observation et pas du tout les raisons hypothétiques qui entrent apparemment en ligne de compte pour la coïncidence. Tandis que l’esprit occidental trie, pèse, choisit, classe, isole avec soin, le tableau chinois du moment embrasse tout, jusqu’au détail le plus mince et le plus dépourvu de sens, parce que le moment observé est fait de tous les ingrédients. En Chine une chose est vue tout de suite avec son contraire, par exemple, la voie du ciel et de la terre. Les Chinois ont un génie pour voir la même réalité de deux manières différentes. Ils ne voient pas deux points de vue successifs, les deux points de vue sont vus du même regard en simultané. Les deux points de vue sont vus superposés, comme le filigrane d’un billet de banque.

Toute la pensée chinoise est une pensée de la rencontre…

…d’une chose qui en rencontre une autre qui résonne avec un grand mouvement cosmique : nous avons nommé synchronicité. Un concept qui formule un point de vue diamétralement opposé au point de vue causal. Puisque ce dernier est une vérité purement statistique, et non absolue, c’est une sorte d’hypothèse de travail concernant la manière dont les événements sortent les uns des autres, tandis que la synchronicité prend la coïncidence des événements dans l’espace et le temps comme signifiant plus qu’un pur hasard, à savoir une interdépendance particulière d’événements objectifs entre eux aussi bien qu’avec les états subjectifs psychiques du ou des observateurs.
Finalement, le fait que la notion de hasard signifie le couplage entre deux ordresprovoque un vertige intellectuel pour un occidental. Cela ouvre sur les applications du principe d’incertitude de la mécanique quantique que l’on pourrait appeler « la mécanique magique ».

Les progrès de l’esprit sont faits de questions nouvelles…

Albert Jacquard, dans « Moi et les autres, introduction à la génétique », remarque que les progrès de l’esprit ne sont pas faits de réponses nouvelles mais de questions nouvelles, de manières nouvelles de voir les choses. Prenons ce vertige à bras le corps. La pensée chinoise du hasard peut nous aider à faire progresser notre conception de la causalité en l’agrandissant, en lui injectant un peu d’aléatoire. Les généticiens ont remarqué que les deux plus grands moteurs de la génétique sont le hasard et la mutation, comme pour le Yi Jing. Cette notion de l’aléatoire fonctionne par exemple dans les centrales nucléaires qui sont des bombes atomiques apprivoisées. Il faudrait pouvoir prendre la température du cœur de la centrale à tout moment, les scientifiques ont élaboré des programmes aléatoires qui permettent de prendre la température n’importe où, à tout moment, et qui permettent de vérifier qu’à aucun moment la centrale ne s’emballe.

Voici la légende de Fu Yi contemplant le ciel…

…puis baissant les yeux vers la terre et en observant les particularités, considérant l’apparence des oiseaux et les productions de la terre, les caractères des corps humains et ceux des choses extérieures. Il commença par tracer huit trigrammes, avec les deux lignes : Yin trait brisé, Yang trait plein. Ensuite combinant les huit premiers trigrammes simples deux à deux il en forma 64 hexagrammes. C’est là son oeuvre et la trame du Yi Jing. Notons l’analogie entre la roue de Fu Yi et la molécule de l’ADN : le cercle de Fu Yi est composé de huit trigrammes, se lit de haut en bas puis de droite à gauche et de gauche à droite et on le fait tourner dans le sens de l’énergie (celui des aiguilles d’une montre). En le mettant en relief on retrouve sur le plan biochimique, la structure de la configuration de l’ADNce qui a été codifié sur le plan énergie.
Notons la ressemblance du code génétique avec le vieux système symbolique Yin/Yang d’il y a 3000 ans, « le classique du changement » qui vise à expliquer la diversité du monde vivant : c’est par transformation du Yang en Yin ou inversement que la vie passe d’une forme à une autre. Les relations entre les êtres vivants peuvent ainsi être déduites de ce système symbolique.
Les généticiens du 20e siècle furent très surpris en découvrant l’extrême analogie entre l’ordre naturel du Yi Jing et le code génétique : car si l’on assimile chacun des quatre diagrammes chinois à l’une des quatre paires de radicaux chimiques composant l’ADN,chaque hexagramme équivaut à l’un des triplets génétiques.
La structure de l’ordre naturel décrit dans le Yi Jing se trouve alors correspondre point par point à celle du code génétique.

« C’est peut-être le Yi Jing qu’il faudrait étudier pour saisir les relations entre hérédité et langage » (François Jacob).

« Pour un occidental, l’approche est délicate car il faut retrouver cette autre vision du monde, les lois qui le régissent, et notamment celles du Karma ».
Jacques Bross.
Le Karma se raccorde peut-être à des choses comme la génétique, comme l’astrologie, approches qui sont très différentes mais qui se recoupent peut-être quelque part…
On n’a pas encore fait cette synthèse, elle est peut-être en gestation dans certains groupes de travail.
Si on prend l’enseignement Zen, le Zen ne s’apprend que dans une position, celle du Bouddha, celle de l’éveil. Dans cette posture il y a un conditionnement physiologique, donc psychique, qui fait que ces notions deviennent plus spontanées, on ne pense plus du tout de la même manière car le cerveau fonctionne autrement : question d’irrigation du sang, comme avec un cerveau plus profond. On ne fonctionne plus avec le néo-cortex qu’on utilise seul, qui est superficiel et complètement dualiste. Le cerveau postérieur ou inférieur est non-dualiste. Les notions non-dualistes sont alors plus accessibles.

Dans la méditation on peut comprendre la relativité de notre système. L’ultra rationalisme est récent même en occident, il est différent de la mystique chrétienne, du judaïsme, de l’islam. On ne nie pas mais on passe au-delà. Ce système rationaliste fonctionne depuis peu de siècles. Il y a eu à l’origine quelque chose de commun qui a disparu avec la division Orient/Occident : l’Eurasie était un seul continent et il y avait des rapports très étroits aux époques historiques et protohistoriques.

Pourquoi le hasard disparaît-il ?

Parce qu’il est une espèce de blocage, une énigme qu’on ne veutpas résoudre. Cela demande en effet quelque chose que nous n’avons pas en Occident, une certaine humilité vis-à-vis de l’ordre cosmique.
L’homme occidental s’est retranché de la nature qu’il massacre, pour inventer son système à lui . Il suffisait d’ouvrir les yeux sur la réalité, de la reconnaître et pas de la recomposer, le plus souvent mathématiquement. C’est peut-être là le vrai problème de l’Occident.

« Car si les choses sont sans cesse mouvantes et sans repos, chacune pourtantretourne à son origine. Retourner à l’origine, voilà la quiétude. Etre dans la quiétude, c’est voir l’être tel qu’il est. L’être tel qu’il est c’est l’immuable, toujours mouvant. Comprendre cela, voilà l’illumination.
Ne pas le savoir et agir aveuglément conduit au malheur. L’immuable toujours mouvant embrasse toute chose. Embrasser toute chose, c’est être désintéressé. Etre désintéressé, c’est atteindre à l’universel. Atteindre à l’universel, c’est êtretranscendant« Tao Te King.

Le Tao, ce Dieu inconnu…

Si l’on est dans des conditions de réceptivité d’une dynamique quantique et qu’on est participant de mouvements objectifs qui nous échappent, dans ce cas-là, on va arriver à une notion de bonheur qui est l’état apparent et qui s’enracine lui-même sur un état de paix intérieure. La paix intérieure c’est simplement cette nature de soumission ou de participation, de choix même, au fait que les choses arrivent et se produisent même quand elles sont mauvaises. Donc curieusement la configuration des événements peut être mauvaise, négative, détestable, et un individu peut rester pacifique, calme, simplement dans le bonheur. Le bonheur c’est simplement d’être dans la vérité de la dynamique de la vie. On ne peut pas parler de bonheur sans parler de paix. Le bonheur n’est pas l’absence de malheur, le bonheur peut être aussi la présence du malheur. Le bonheur, ce n’est pas la même chose que de ne pas être malheureux, il faut aller chercher plus loin. Comme le soulignent les traditions, il ne faut pas oublier que le but n’est pas le parti pris du malheur et de la souffrance, mais c’est de comprendre que le malheur et la souffrance sont seulement une illusion. Le but, c’est donc aussi de sortir de la souffrance.
Celui qui sait que la souffrance est une illusion a trouvé la paix et le bonheur.
La souffrance n’est pas une satisfaction, c’est seulement mettre le doigt sur le fait qu’il y a une illusion quelque part.
Dieu n’a pas voulu la souffrance, il veut seulement qu’on voit l’illusion qui est liée à la souffrance.

Nous disons simplement la même chose que ce qui a été dit depuis des dizaines de siècles : Seul le travail intérieur de l’homme, la recherche intérieure de lui-même peut lui amener cette paix.
L’homme, qui n’est lui-même qu’un petit satellite, qu’une petite projection de la création totale, s’il accepte le hasard, s’il l’inclut, devient co-auteur de son destin.

BIBLIOGRAPHIE
« Le hasard et nous … »

Etienne Klein, « Sous l’atome les particules ». Paris, Dominos Flammarion.

Trin Xuan Thuan, « La mélodie secrète ». Paris, Fayard.

Svon Ortoli, et Jean-Pierre Pharabod, « Le cantique des Quantiques ». Paris, Poche Biblio essais nO4O66.

Lao Tseu, “Tao Te Kin”. Paris, Desclee de Brouwer, traduction CL Larre

T. C. Mac Luhan, « Pieds nus sur la terre sacrée ». Paris, Denoël, photos S. Curtis.

Carlos Castaneda, « La force du silence ». Paris, Gallimard, coll Témoins

Carlos Castaneda, « L’art de rêver ». Paris, Editions du Rocher.

N.V. Corvalan Graciela, « Conversation de fond avec Carlos Castaneda ». Paris, Editions du Cerf.

Christiane Singer, « Une passion ». Paris, Albin Michel.

Ji King, « le livre des transformations ». Paris, éditions Médicis, traduction R. Wilhelm et Etienne Perrot (couverture jaune).

Alice Fano, « Les 9 figures de base de la pensée chinoise ». Paris, Editions de la Maisnie.

Albert Jacquard, « Voici le temps du monde fini ». Paris, Seuil.

S. Marie, « Les pierres du gué », Paris, Editions La Méridienne.

S. Marie, « Le pont de corail ». Paris, Editions La Méridienne.

Annick De Souzenelle, « La parole au cœur du corps ». Paris, Albin michel.

Chôgyam Trungpa, « Folle sagesse ». Paris, Seuil, inédits Point sagesse.
Khalil Gibran, « Le jardin du prophète ». Paris, Seuil, Point sagesse.

Monique C. Lacotte

Conseil en entreprise
Expert en Partage des Savoirs


Un commentaire
  1. Isabelle Chesneau permalien

    Bonjour,

    Je viens de lire votre texte passionnant sur la prise de décision chez les Chinois et vous citez à un moment donné l’ouvrage de William Pitt sur la synchronicité. Malgré des recherches à travers différents catalogues de bibliothèques (nationales et universitaires), je n’ai rien trouvé.

    Vous serait-il possible de m’indiquer les références précises de ce livre qui m’intéresse particulièrement ?

    Je vous en serais très reconnaissante.
    Bien cordialement,
    Isabelle Chesneau

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